Afrique: Désintégration des souverainetés nationales et une recolonisation civile
Posté par sdu le 11 août 2009
Par Pierre Franklin Tavares : Le monde diplomatique
Pourquoi tous ces coups d’Etat en Afrique ? L’Afrique subit avec une acuité particulière les déstabilisations politiques et sociales dues à la mondialisation. En effet, déjà fragiles, les jeunes Etats indépendants ont hérité d’une souveraineté chancelante que la domination des multinationales et la dislocation des sociétés sous l’effet des politiques d’ajustement structurel ont achevé de réduire à néant. Ainsi, la puissance publique devient une fiction dont on cherche à tirer profit et le coup d’Etat un mode naturel de conquête du pouvoir. Par Pierre Franklin Tavares Coups d’Etat en Guinée-Bissau (septembre 2003) et à Sao-Tomé- et-Principe (juillet 2003), tentatives de putsch au Burkina Faso et en Mauritanie (octobre 2003), renversement de M. Charles Taylor par une rébellion au Liberia (août 2003), remous politiques au Sénégal (année 2003), déstabilisation de
la Côte d’Ivoire (depuis septembre 2002)… l’Afrique de l’Ouest semble s’être durablement installée dans la crise politique. Et si certains pays y échappent, parmi lesquels le Cap-Vert, le Ghana et le Mali, pour combien de temps seront-ils à l’abri des secousses ? Au total, l’Afrique de l’Ouest se trouve au bord de l’effondrement général. Les crises actuelles apparaissent d’une tout autre nature que celles qui affectaient les Etats africains dans les années qui ont suivi les indépendances. Aux luttes idéologiques de la guerre froide ont succédé une double déstabilisation en raison de l’insertion à marche forcée dans la mondialisation économique, d’une part, et, d’autre part, de la démocratisation improvisée d’Etats sans moyens. Ces deux phénomènes ont abouti à délégitimer les constructions nationales naissantes et à rendre purement fictive la souveraineté de ces pays. Par une « ironie tragique », plusieurs phénomènes de nature très différente ont conjugué leurs effets déstabilisateurs : la fin de l’affrontement Est-Ouest, qui structurait la géopolitique africaine ; l’improvisation par les bailleurs de fonds d’une injonction démocratique mal maîtrisée (relayée par le discours de François Mitterrand à
La Baule en 1990) (1) ; le nouveau cadre macroéconomique ultralibéral – privatisations sauvages, programmes d’ajustement structurel incohérents et drastiques, plans sociaux déguisés, exploitation éhontée de la main-d’œuvre, prix dérisoires des matières premières et fraudes, mesures commerciales désavantageuses, etc. (2) ; les interventions sauvages des multinationales occidentales et de puissantes banques orientales ; l’explosion de la dette ; les visées de certains Etats africains (interventions au Tchad et activisme « panafricaniste » de
la Libye, par exemple) (3) ; la déconcertante absence de culture générale de nombreux dirigeants politiques du continent noir avec son corollaire, le manque de vision (y compris à court terme) ; la corruption des petits et des grands fonctionnaires ; le trafic d’armes ; etc. Autant de maux qui ont fini par faire s’effondrer un continent déjà bien fragilisé. Tous les indicateurs macroéconomiques, sociaux et sanitaires se sont dégradés depuis les années 1980, éradiquant les classes moyennes et suscitant de profondes tensions sociales. L’Afrique de l’Ouest s’est appauvrie : tous les produits intérieurs bruts se sont détériorés, la croissance promise par les bailleurs de fonds n’est pas au rendez-vous : elle est même passée de 3,5 % en moyenne en 1975 à 2 % en 2000 (4). Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) fait état d’une « dégradation sans précédent » des indicateurs de développement humain (5).
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