Il serait faux de croire que le système judiciaire américain accorde la même considération à toutes les femmes victimes d’agressions sexuelles.
09.06.2011 | Marianne Mollmann | Los Angeles Times
Les poursuites engagées contre DSK entretiennent le mythe qui veut que le système judiciaire américain agisse avec rapidité et efficacité dans la résolution des affaires d’agression sexuelle. Les médias, en particulier en Europe, ne cessent de souligner l’égalité et l’équité qui semblent prévaloir dans cette justice qui permet à une mère célibataire immigrée, aux ressources relativement limitées, d’attaquer un homme politique d’envergure internationale, capable de payer une caution de 1 million de dollars.
C’est à n’en pas douter un cas de figure remarquable, mais qui, malheureusement, ne peut être généralisé. Nous ignorons si DSK est coupable ou innocent, mais nous savons que toutes les deux minutes une agression sexuelle se produit aux Etats-Unis, selon des chiffres du ministère de la Justice. Et nous savons aussi que, selon les estimations, 60 % de ces agressions ne font pas l’objet d’une plainte. Dès lors, on peut se demander si les 40 % de victimes qui osent se déclarer obtiennent que justice soit faite. Eh bien, tout dépend.
A l’échelle nationale, la police n’arrête un suspect que dans la moitié des affaires d’agression sexuelle qui lui sont rapportées. La plupart des personnes arrêtées sont poursuivies en justice, mais moins des deux tiers sont reconnues coupables. Et toutes ne sont pas condamnées à des peines d’emprisonnement. Au bout du compte, on estime que seulement un violeur sur seize purge une peine de prison. Ce manque de détermination à faire condamner les violeurs découle de la façon dont la police et le ministère public traitent les victimes, leur témoignage et les preuves.
La description faite par les médias de la victime présumée de DSK est en la matière édifiante, soulignant sa ferveur religieuse et ses conditions de vie difficiles – autant de facteurs qui, aux yeux de beaucoup, font d’elle un témoin plus crédible. Mais les victimes ne présentant pas ce type d’attributs sont souvent considérées tout autrement. Il arrive que des policiers classent une plainte pour viol parce qu’ils estiment, sur la seule base des premiers interrogatoires et du contexte, que la victime présumée ne fera pas un témoin crédible au tribunal [dans le système judiciaire américain, la victime ne peut pas se constituer partie civile : elle est un témoin de l’accusation portée par le ministère public]. On estime que 3 % à 8 % des plaintes pour viol sont infondées, soit à peu près autant que dans les autres affaires criminelles. Or il a été établi que les policiers font plus rarement confiance aux victimes de viol, surtout lorsque la femme qui dénonce une agression sexuelle ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du comportement “correct” que doit avoir une femme.
Ces réactions peuvent sembler légitimes : il n’est pas souhaitable que la police gaspille de précieuses ressources à enquêter sur des crimes qui ne se sont pas produits. Cependant, ce qui se passe dans certaines juridictions, à New York par exemple – où tous les “kits viol”, ces trousses de prélèvement des preuves matérielles, sont analysés –, montre qu’une analyse subjective de la crédibilité d’une victime peut être erronée. A New York, depuis qu’il a été décidé d’analyser tous les “kits viol” sans exception, le taux d’arrestation est passé en cinq ans de 40 % à 70 % des plaintes déposées, et le pourcentage de condamnations a progressé lui aussi. Il ne s’agit pas de dire que le traitement des agressions sexuelles à New York est le meilleur possible, mais de montrer que la décision d’ouvrir une enquête dans les affaires de viol (que la police, selon des critères subjectifs, juge la victime crédible ou non) peut déboucher sur un plus grand nombre de procès.
Mais revenons au problème plus large des violences sexuelles et à ce chiffre : une femme agressée toutes les deux minutes aux Etats-Unis. Quelle que soit l’issue des poursuites engagées contre Dominique Strauss-Kahn, cette affaire très médiatisée a placé la question des agressions sexuelles dans le débat public, et c’est une bonne chose. Mais, tant que le viol et les violences à caractère sexuel resteront si fréquents aux Etats-Unis, personne ne pourra dire que le système fonctionne bien.