LE MONDE .fr| 03.09.09 | 12h59 . Libreville, envoyé spécial
Un coup de force a transformé, jeudi 3 septembre, l’élection présidentielle gabonaise, jusque-là paisible, en l’objet d’un affrontement politique majeur, sur le terrain politique et probablement dans la rue. Le président de la commission électorale chargée de valider les résultats, a clôturé, contre l’avis de l’opposition, la réunion plénière de cette instance, jeudi 3 septembre au matin, pour transmettre au ministre de l’intérieur des chiffres qui sont vigoureusement contestés par l’opposition.
Selon ce résultat proclamé par le ministre Jean-François Ndongou, Ali Bongo a obtenu 41,73 % des suffrages lors du vote à un seul tour de dimanche dernier. Le fils d’Omar Bongo, mort en juin après avoir régné pendant 42 ans sur le Gabon, a, selon ces chiffres, nettement battu ses deux principaux adversaires, Pierre Mamboundou (25,22 %) et André Mba Obame (25,88 %).
Deux heures avant cette proclamation, les forces de l’ordre ont évacué à coups de matraques les abords de la Cité de la démocratie où un millier de partisans de l’opposition étaient rassemblés depuis la veille dans l’intention de « faire échec au hold up électoral ». Au cours de cette évacuation, Pierre Mamboundou, l’un des principaux rivaux d’Ali Bongo a été blessé au visage, selon son entourage.
Dès la veille de la proclamation des résultats, le pouvoir ne cachait pas son impatience d’annoncer la victoire d’Ali Bongo, que ses partisans fêtaient déjà en musique mercredi soir à son quartier général. Symbole d’un retour à la préhistoire démocratique ? La première chaîne de télévision publique gabonaise a interrompu dans la nuit de mercredi à jeudi, la diffusion du film « Jurassic park 2″, pour annoncer, quatre jours après le vote, que les résultats de l’élection présidentielle ne pouvaient toujours pas être rendus publics.
Alors que les Gabonais attendaient dans une tension grandissante cette publication prévue pour la veille au soir, la commission électorale était agitée par le vif conflit opposant les candidats sur la question de la fraude. « Il n’y a rien de dramatique », s’était efforcé de rassurer René Aboghé Ella, président de la commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) au cours de cette courte séquence télévisée rediffusée chaque demi-heure.
Le magistrat avait justifié le retard par « une certaine difficulté à s’accorder sur la procédure de validation des résultats ». A l’entendre, le conflit serait dû à l’exigence qu’a l’opposition de faire valider les procès-verbaux du vote par l’instance « plénière » de la Cenap dont la réunion avait commencé à 19 heures mercredi, avec dix heures de retard. « D’aucuns [les opposants] estiment à tort que la plénière est compétente pour regarder certains PV établis par les bureaux de vote », avait déclaré M. Aboghé Ella, en assurant que le rôle de cette instance se limitait à « centraliser et compiler les résultats », la Cour constitutionnelle étant, elle, chargée du contentieux électoral.
Mais « si nous ne trouvons pas de terrain d’entente, avait menacé le magistrat, nous ferons jouer les dispositions qui permettent au bureau [de la Cenap, où le pouvoir dispose d'une majorité] de trancher la question ». Ce qui a été fait un peu plus tard dans la matinée.
« BATAILLE DES PV »
En réalité, la « petite incompréhension » qu’il a évoquée concerne ni plus ni moins que la question de l’authenticité des PV du vote. L’opposition accuse le camp d’Ali Bongo, qui dispose des leviers de l’Etat, d’avoir falsifié ces documents. Selon elle, certains gouverneurs de provinces auraient convoqué des présidents de bureaux de vote pour leur faire signer, moyennant finances, des PV favorables au fils du président Bongo. Ces accusations sont catégoriquement démenties dans l’entourage d’Ali Bongo.
De telles pratiques, considérées comme courantes du temps d’Omar Bongo, ne pouvaient guère être combattues jusqu’à ce qu’une loi de 2006 impose la remise des PV aux représentants de tous les partis politiques juste après le dépouillement. Ce texte, qui s’applique pour la première fois à l’élection en cours, est à la base de la « bataille des PV » qui fait rage depuis le scrutin.
L’opposition affirme détenir des procès-verbaux qui démentent la victoire revendiquée par M. Bongo junior. Dans son esprit, la réunion plénière de la Cenap devait être consacrée à la confrontation de ces documents et à la validation de leur authenticité. C’est apparemment ce qu’a refusé le président de cette institution.
Un autre conflit porte sur la participation : l’opposition accuse le pouvoir d’avoir gonflé la participation dans les provinces favorables à son candidat et de l’avoir minorée ailleurs, notamment grâce à des listes électorales surdimensionnées et fantaisistes.
Le conflit ouvert qui a éclaté à la Cénap dans la nuit de mercredi à jeudi, n’est que la face juridique d’un affrontement politique qui pourrait se prolonger dans la rue. Dès mercredi matin, l’opposition a appelé ses militants à se rassembler. « On ne veut pas d’Ali. On en a marre de la famille Bongo », scandaient, mercredi soir, des manifestants rassemblés aux abords du siège de la commission électorale.
Certains slogans anti-français ont été entendus, mais de nombreuses personnes s’interposaient pour les contredire et éviter les incidents. Sous un abribus, assis publiquement au coude à coude pour la première fois depuis le début de la campagne, les adversaires d’Ali Bongo étaient présents à ce « sit in ».
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